dimanche 22 décembre 2013

YU Jian - 29

Autrefois il y avait ici un poème
Qui parlait d’une personne vivante
Mais j’ai changé d’avis sur cette personne
Et j’ai effacé toutes les traces du poème
Comme un tyran
Fait fusiller un ministre en disgrâce

dimanche 15 décembre 2013

Yu Jian - 23

Le poète manie les mots
Comme un boucher des chapons qu’il vient d’égorger
Et qu’il emporte dans la cuisine
Comme un militant au soir de la révolution
Qui colle des slogans
Au premier étage du comité central

Le poète
Hors des murs du ministère du commerce extérieur
Caresse les dents de l’ambassadeur
Il voudrait pour son émotion en pousses de soja
Trouver la bonne échoppe

samedi 14 décembre 2013

Yu Jian - 17

Il est un bonheur que je n’ai jamais éprouvé
Un bonheur qu’Hitler n’a jamais éprouvé
Il ne pouvait que donner des ordres à des généraux
Je ne puis qu’écrire avec obstination
Mais aucun de nous n’a ressenti
La joie de la machine à laver
Dont le tambour inoxydable
                Trouve tous les vêtements
Sales
Trouve les culottes de la jeune fille
                Tachées
Trouve les mouchoirs du bébé
                Infects
Trouve que la cotte de l’ouvrier
Dissimule sa crasse
Trouve que les robes de bal et les queues de pie
Mériteraient d’être lavées
Ce point de vue est défendu
Par l’humanité toute entière
Aussi
Pour un monde irréprochable
Les habits de toutes les couleurs
                Et de toutes les coupes
La soie d’orient le lin d’occident
Tous
                Sont jetés
Dans le tambour obscur
De la machine à laver
Qui jour et nuit
Dans tous les foyers du monde
Tourne
Les fleuves peuvent s’assécher
                Les gouvernements tomber
Jamais
Une bataille de Stalingrad ne fera
Que la machine à laver
Qui ne distingue pas un uniforme d’un mouchoir
S’arrête

vendredi 13 décembre 2013

Yu Jian - 14


Tu vas
                Aboutir
Devenir une rose blanche
Même si tu as dans l’obscurité
Connu le désespoir
                Et appris à hurler
Même si tu as bouché
Avec de l’encre et du chanvre
Tous les canaux
                Toutes les veines
Qui mènent en Avril
Même si tu as vicieusement
Maudit
                L’air
                               Le soleil et l’eau
Même si toute ton âme
Est opposée
A l’esquisse d’une rose
Même si tu as
Avant l’aube
Tenté de te tuer

Tu es destiné à aboutir
Destiné à devenir une rose
Ah
                La lumière est irrésistible
En Avril elle entrera exacte et régulière
Dans ton obscurité depuis longtemps brisée
Ah
                Rose blanche
Tu seras comme
Une rose
Ouverte
Aboutie
A l’heure dite payant son tribut aux abeilles
A l’heure dite donnant des images au poète
A l’heure dite se fanant

jeudi 12 décembre 2013

Yu Jian 8


Une paire de chaussures souples
A fait le bonheur de mes pieds
Autrefois j’en voulais aux routes
Toutes creux et bosses
                Jamais aplanies
Une vraie route devrait être égale
Convenir à tous les souliers
Sans qu’ils aient à s’y adapter
Mais aujourd’hui j’ai de nouvelles chaussures
Et leur pas joyeux
M’a fait changer d’avis
La route avait raison
Mes souliers avaient tort

Yu Jian - 7


L’eau dans ce verre
                Pour qui est-elle 
Ce ne peut être l’eau du lion
                Ni celle de l’hippopotame
Dans cette eau il n’y a rien qui se mange
Et pourtant le buveur s’en nourrit
Il finit son verre
                S’en remplit un autre
Puis se remet à écrire
Et raconte
Que sur la berge d’un fleuve
Cet hippopotame
                A vu le reflet du lion

jeudi 28 novembre 2013

Yu Jian - 12

Le chemin qui mène là-bas n’a pas besoin de traverser
L’acier
Le plastique et le nylon
N’a pas besoin d’emprunter
Les rues
Et les grandes routes
N’a pas besoin de passer
Par les coiffeuses des femmes
Et les verres de bière des hommes
Le chemin qui mène là-bas
N’a pas besoin de passeport
De chaussures
Ou d’essence
Je sais que ce chemin autrefois
Sur la terre sans limites
A existé
Mais aujourd’hui pour aller là-bas
Sans piétiner
Les tuyaux de gaz ou les services comptabilité
Je n’ai que mes poèmes
Pour me servir de pieds

mercredi 27 novembre 2013

Yu Jian - 16


Les samedis de machine à laver
Le plaisir de tourner
                Abime les vêtements de son propriétaire
Abime les couleurs vives
                Abime leur mauvaise qualité
Abime ceux qu’on ne saurait porter dans les dîners
Abime
                Pour que jour après jour
                               On reste propre
Le seul épargné est un pull en laine
Qui exige un cycle différent
Son rêve :
A la jupe rouge
De la maîtresse de maison
            Etre assorti

mardi 26 novembre 2013

Yu Jian - 2

Il marche
                Autour de lui des gens marchent
Chacun sur son chemin
                Marchant indifférents
D’une vieille paire de chaussures vers une nouvelle
Il marche parmi eux
Mais lui poursuit un vieux ballon
Je ne saurais décrire sa façon de marcher
Bien sûr il y a deux pieds
                Mais pas comme tout le monde
Lui seul
                Inébranlable
                               Sûr de son fait
Deux chaussettes noires
                Enserrant ses mollets
N’est vraiment pas comme les autres
Il marche vers un vieux ballon
Il doit marcher différemment
Il sautille

lundi 25 novembre 2013

Carl Sandburg - Les portes

Une porte ouverte dit : "Entre!"
Une porte fermée : "Qui es tu?"
Les ombres et les fantômes passent par les portes fermées.
Si une porte est fermée et qu'on la veut fermée
           Pourquoi l'ouvrir?
Si une porte est ouverte et qu'on la veut ouverte
           Pourquoi la fermer?
 Les portes oublient mais seule une porte sait ce que
           les portes oublient.


(Doors)

dimanche 24 novembre 2013

Yu Jian - 11

Une lettre
Venue d’un pays où l’on écrit l’anglais
Extraite d’un tas de plumes victoriennes
A la manière d’un oiseau
                Est entrée au bureau de poste
A flâné dans Rome en automne
A évité les glaciales Russie et Pologne
A traversé l’étincelante Egypte
                Puis l’Inde vers l’Est
Et puis un soir sous administration chinoise
Est arrivée dans un autre bureau de poste

Un postier
                Tombé du ciel
M’a donné cette plume blanche
Une lettre
                Qui a parcouru mille lieues
Pas pour m’expliquer « Ulysse »
Mais pour me dire
Que mes mots
                Par quelqu’un
Ont été compris

samedi 23 novembre 2013

Yu Jian - 239

Les mains vides             apportant un poème
J’arrive dans son salon   pour son anniversaire
Je passe la porte             enlève mes souliers
Toutes les dames et les messieurs se retournent
Comme des singes dressés          attendant
Que de mes mains          tel un magicien
J’extraie un cadeau pour notre hôte
Une rose           des cigares        un briquet
Une poupée ou bien des caramels
Voire    une limousine
Ils tiennent prêt leurs     bravo
Et         « Comme c’est joli !»
Je comprends soudain    qu’ici
Mon cadeau n’est plus présentable
Je ne peux expliquer à cet hôte rayonnant
Qu’à son anniversaire     j’ai apporté un poème
C’est si démodé             vieillot              bon marché       bizarre
Risible              mesquin                        si impensable
Qu’à leurs yeux             mon poème
Serait dégoûtant comme un cafard
Et leur ferait pousser de terribles
Cris

vendredi 22 novembre 2013

Lawrence Ferlinghetti - Goya dans ses plus grandes scènes

Goya dans ses plus grandes scènes nous semble dessiner
                                 les peuples du monde
        à l'instant précis où
              ils atteignent à la dignité
                               "d'humanité douloureuse"

Ils se tordent sur la page
          dans un véritable orage
                      de calamités

Entassés
         gémissants avec des bébés et des bayonettes
                       sous un ciel de ciment
  dans un paysage abstrait d'arbres déchiquetés
           de statues voilées d'ailes et de becs de chauves-souris
                       de gibets glissants
           de cadavres et de coqs carnivores
  et de tous les monstres derniers hurlants
           de
                l'imagination des catastrophes
  ils ont l'air tellement réels
           que c'est comme s'ils existaient encore

Et ils existent
        seul le paysage a changé

Ils s'étalent le long des routes
        tourmentés par les légionnaires
             les faux moulins à vent et les oiseaux déments

Ce sont les mêmes peuples
      mais plus loin de chez eux
             sur des autoroutes de cinquantes voies
      sur un continent de béton
             où s'espacent des panneaux naïfs
                   qu'illustrent d'idiotes illusions de bonheur

La scène a moins de tombereaux
         mais plus de citoyens en manque
               dans des voitures peintes
          ils ont d'étranges plaques d'immatriculation
       et des moteurs
                    qui dévorent l'Amérique


(in Goyas greatest scenes)

      

E. E. Cummings - ma très chère et cetera

ma très chère et cetera
tante lucie pendant la dernière

guerre savait et mieux
encore expliquait ce
pour quoi chacun se

battait,
ma soeur

isabelle produisit des centaines
(et
des centaines)de chaussettes sans
parler des chemises passe-montagnes antipoux

et cetera mitaines et cetera, ma
mère espérait que
je mourrais et cetera
comme un brave bien sûr mon père se
cassait la voix à répéter que c'était
un honneur et que si seulement il
avait pu tandis que moi

même et cetera allongé tranquille
dans la boue profonde et

cetera
(rêvant
et
    cetera, de
Ton sourire
yeux genoux et de ton Et cetera)


(my sweet old etcetera)

jeudi 21 novembre 2013

E.E. Cummings - Puisqu'on ressent d'abord

puisqu'on ressent d'abord
quiconque prête attention
à la syntaxe des choses
jamais ne vous embrassera vraiment;

ne sera vraiment fou
dans ce Printemps du monde

mon sang approuve,
et les baisers sont un meilleur parti
que la sagesse
madame j'en fais serment par toutes les fleurs. Ne pleurez pas
- le plus beau geste de mon esprit vaut moins
qu'un battement de vos paupières qui dit

nous sommes l'un pour l'autre: alors
riez, reposée dans mes bras
car la vie n'est pas un paragraphe

Et la mort, je crois, pas une parenthèse


(since feeling is first)