jeudi 28 novembre 2013

Yu Jian - 12

Le chemin qui mène là-bas n’a pas besoin de traverser
L’acier
Le plastique et le nylon
N’a pas besoin d’emprunter
Les rues
Et les grandes routes
N’a pas besoin de passer
Par les coiffeuses des femmes
Et les verres de bière des hommes
Le chemin qui mène là-bas
N’a pas besoin de passeport
De chaussures
Ou d’essence
Je sais que ce chemin autrefois
Sur la terre sans limites
A existé
Mais aujourd’hui pour aller là-bas
Sans piétiner
Les tuyaux de gaz ou les services comptabilité
Je n’ai que mes poèmes
Pour me servir de pieds

mercredi 27 novembre 2013

Yu Jian - 16


Les samedis de machine à laver
Le plaisir de tourner
                Abime les vêtements de son propriétaire
Abime les couleurs vives
                Abime leur mauvaise qualité
Abime ceux qu’on ne saurait porter dans les dîners
Abime
                Pour que jour après jour
                               On reste propre
Le seul épargné est un pull en laine
Qui exige un cycle différent
Son rêve :
A la jupe rouge
De la maîtresse de maison
            Etre assorti

mardi 26 novembre 2013

Yu Jian - 2

Il marche
                Autour de lui des gens marchent
Chacun sur son chemin
                Marchant indifférents
D’une vieille paire de chaussures vers une nouvelle
Il marche parmi eux
Mais lui poursuit un vieux ballon
Je ne saurais décrire sa façon de marcher
Bien sûr il y a deux pieds
                Mais pas comme tout le monde
Lui seul
                Inébranlable
                               Sûr de son fait
Deux chaussettes noires
                Enserrant ses mollets
N’est vraiment pas comme les autres
Il marche vers un vieux ballon
Il doit marcher différemment
Il sautille

lundi 25 novembre 2013

Carl Sandburg - Les portes

Une porte ouverte dit : "Entre!"
Une porte fermée : "Qui es tu?"
Les ombres et les fantômes passent par les portes fermées.
Si une porte est fermée et qu'on la veut fermée
           Pourquoi l'ouvrir?
Si une porte est ouverte et qu'on la veut ouverte
           Pourquoi la fermer?
 Les portes oublient mais seule une porte sait ce que
           les portes oublient.


(Doors)

dimanche 24 novembre 2013

Yu Jian - 11

Une lettre
Venue d’un pays où l’on écrit l’anglais
Extraite d’un tas de plumes victoriennes
A la manière d’un oiseau
                Est entrée au bureau de poste
A flâné dans Rome en automne
A évité les glaciales Russie et Pologne
A traversé l’étincelante Egypte
                Puis l’Inde vers l’Est
Et puis un soir sous administration chinoise
Est arrivée dans un autre bureau de poste

Un postier
                Tombé du ciel
M’a donné cette plume blanche
Une lettre
                Qui a parcouru mille lieues
Pas pour m’expliquer « Ulysse »
Mais pour me dire
Que mes mots
                Par quelqu’un
Ont été compris

samedi 23 novembre 2013

Yu Jian - 239

Les mains vides             apportant un poème
J’arrive dans son salon   pour son anniversaire
Je passe la porte             enlève mes souliers
Toutes les dames et les messieurs se retournent
Comme des singes dressés          attendant
Que de mes mains          tel un magicien
J’extraie un cadeau pour notre hôte
Une rose           des cigares        un briquet
Une poupée ou bien des caramels
Voire    une limousine
Ils tiennent prêt leurs     bravo
Et         « Comme c’est joli !»
Je comprends soudain    qu’ici
Mon cadeau n’est plus présentable
Je ne peux expliquer à cet hôte rayonnant
Qu’à son anniversaire     j’ai apporté un poème
C’est si démodé             vieillot              bon marché       bizarre
Risible              mesquin                        si impensable
Qu’à leurs yeux             mon poème
Serait dégoûtant comme un cafard
Et leur ferait pousser de terribles
Cris

vendredi 22 novembre 2013

Lawrence Ferlinghetti - Goya dans ses plus grandes scènes

Goya dans ses plus grandes scènes nous semble dessiner
                                 les peuples du monde
        à l'instant précis où
              ils atteignent à la dignité
                               "d'humanité douloureuse"

Ils se tordent sur la page
          dans un véritable orage
                      de calamités

Entassés
         gémissants avec des bébés et des bayonettes
                       sous un ciel de ciment
  dans un paysage abstrait d'arbres déchiquetés
           de statues voilées d'ailes et de becs de chauves-souris
                       de gibets glissants
           de cadavres et de coqs carnivores
  et de tous les monstres derniers hurlants
           de
                l'imagination des catastrophes
  ils ont l'air tellement réels
           que c'est comme s'ils existaient encore

Et ils existent
        seul le paysage a changé

Ils s'étalent le long des routes
        tourmentés par les légionnaires
             les faux moulins à vent et les oiseaux déments

Ce sont les mêmes peuples
      mais plus loin de chez eux
             sur des autoroutes de cinquantes voies
      sur un continent de béton
             où s'espacent des panneaux naïfs
                   qu'illustrent d'idiotes illusions de bonheur

La scène a moins de tombereaux
         mais plus de citoyens en manque
               dans des voitures peintes
          ils ont d'étranges plaques d'immatriculation
       et des moteurs
                    qui dévorent l'Amérique


(in Goyas greatest scenes)

      

E. E. Cummings - ma très chère et cetera

ma très chère et cetera
tante lucie pendant la dernière

guerre savait et mieux
encore expliquait ce
pour quoi chacun se

battait,
ma soeur

isabelle produisit des centaines
(et
des centaines)de chaussettes sans
parler des chemises passe-montagnes antipoux

et cetera mitaines et cetera, ma
mère espérait que
je mourrais et cetera
comme un brave bien sûr mon père se
cassait la voix à répéter que c'était
un honneur et que si seulement il
avait pu tandis que moi

même et cetera allongé tranquille
dans la boue profonde et

cetera
(rêvant
et
    cetera, de
Ton sourire
yeux genoux et de ton Et cetera)


(my sweet old etcetera)

jeudi 21 novembre 2013

E.E. Cummings - Puisqu'on ressent d'abord

puisqu'on ressent d'abord
quiconque prête attention
à la syntaxe des choses
jamais ne vous embrassera vraiment;

ne sera vraiment fou
dans ce Printemps du monde

mon sang approuve,
et les baisers sont un meilleur parti
que la sagesse
madame j'en fais serment par toutes les fleurs. Ne pleurez pas
- le plus beau geste de mon esprit vaut moins
qu'un battement de vos paupières qui dit

nous sommes l'un pour l'autre: alors
riez, reposée dans mes bras
car la vie n'est pas un paragraphe

Et la mort, je crois, pas une parenthèse


(since feeling is first)